Colette, Sido, suivi de Les Vrilles de la vigne : la célébration du monde

Regroupées en une même publication, les œuvres de Colette intitulées Sido et Les Vrilles de la vigne n'ont pourtant pas été conçues pour être éditées ensemble. Sido, publié pour la première fois en 1930, est un récit autobiographique narrant des souvenirs d'enfance de Colette. Les Vrilles de la vigne, dont la première publication date de 1908 et qui connut plusieurs variations au cours de ses rééditions successives, est un recueil de textes brefs et divers. Pourtant, des liens se tissent entre ces textes, tous deux aiguillés par le désir de capturer et faire renaître des instants voués sinon à l'indifférence et à l'oubli.
I. Saisir sur le vif : écrire le mouvement
Le goût de l'anecdote
Sido comme Les Vrilles de la vigne se composent d'un ensemble de courtes scènes qui correspondent au goût de l'écrivaine pour l'anecdote. Dans Les Vrilles de la vigne, Colette se livre à des récits très hétérogènes : partie de pêche dans la baie de Somme (« Une partie de pêche »), récital d'une cantatrice dans un salon mondain (« La Dame qui chante »), confidences de Valentine, son « amie convenable » (de « Belles-de-jour » à « La Guérison »), répétition de pantomime (« Music-Halls »), etc.
Certes, la forme de cette œuvre se prêtait à cette grande variété de sujets, mais l'on retrouve cette façon de passer d'une anecdote à l'autre dans Sido, qui collecte les souvenirs d'enfance au fil d'une promenade mémorielle : sorties en solitaire à l'aube, dialogues de sa mère en rose des vents au milieu de son jardin avec ses voisins postés aux quatre points cardinaux, merle se gavant de cerises sous le regard admiratif de celle-ci, visites chez la fascinante Adrienne, « parties de campagne » organisées par son père, entretien avec une spiritiste, fugues de son frère Léo, bons tours joués par les deux frères, etc.
Les souvenirs dans Sido ne s'ordonnent pas selon une chronologie, mais répondent à une écriture thématique qui rayonne autour des différentes figures mises en avant dans les trois sections de l'œuvre (la mère, le père, la fratrie) donnant lieu à des micro-récits ciselés qui invitent le lecteur à se concentrer sur la myriade de détails qu'ils reproduisent.
Le goût de l'anecdotique
On retrouve en effet dans ces différents récits une attention particulière portée au détail et à l'éphémère qui se déploie dans une savoureuse richesse lexicale, une quête du mot juste et coloré, le plus à même de rendre compte de l'extraordinaire profusion de la vie. Le lecteur curieux bénéficiera par exemple d'un véritable cours de botanique, les noms de plantes les plus diverses parsemant les deux ouvrages, des communs « géraniums », « digitales », « lilas » ou « bégonias » aux plus méconnus « orpin », « ombelle », « croix-de-Malte », « bâtons de Saint-Jacques » ou « coqueret-alkékenge ». C'est presque en scientifique que Colette restitue dans ses écrits la variété de la flore qu'elle côtoie.
Mais c'est en peintre qu'elle en décrit les moindres nuances et variations, comme dans « Le Dernier Feu » : « Et les violettes elles-mêmes, écloses par magie dans l'herbe, cette nuit, les reconnais-tu ? Tu te penches, et comme moi tu t'étonnes ; ne sont-elles pas, ce printemps-ci, plus bleues ? – Non, non, tu te trompes, l'an dernier je les ai vues moins obscures, d'un mauve azuré, ne te souviens-tu pas ? […] Plus mauves… non, plus bleues… Cesse cette taquinerie ! Porte plutôt à tes narines le parfum invariable de ces violettes changeantes et regarde, en respirant le philtre qui abolit les années, regarde comme moi ressusciter et grandir devant toi les printemps de ton enfance ! … ». L'anaphore de l'impératif « regarde » dans ce texte résume à la fois une qualité essentielle de Colette et son ambition de la transmettre à ses lecteurs.
II. De l'art de l'observation au don de pénétration
(Se) forger le regard : portraits-paysages
Tout en racontant dans ces deux œuvres la formation de son propre regard (le « regarde » adressé à Missy dans « Le Dernier Feu » fait écho au « regarde » adressé par sa mère à Colette dans la scène du merle et des cerises dans Sido, par exemple), Colette souhaite aussi forger le regard de ses lecteurs. Son talent pour la peinture des paysages se retrouve dans les portraits qu'elle brosse des êtres qui l'entourent comme celui de Léo, « sylphe de soixante-trois ans ».
Entre tous peut-être, les portraits de femmes qui constellent ces deux livres jouissent du talent de paysagiste de Colette : les femmes admirées, aimées sont dépeintes comme des femmes-paysages, irradiantes de l'univers versicolore et fragrant qu'elles portent en elles, avec elles. C'est Sido et le vent du sud, « empanaché de graines, de sable, de papillons morts, raciné au désert de Libye », entre les « hortensias, le frêne pleureur et le très vieux noyer ». C'est Missy dans « Nuit blanche », dont le lit partagé avec Colette est un « frais vallon » au « parfum compliqué ». Ces portraits de femmes-paysages expriment l'acuité du regard de Colette, qui décèle en chaque être le monde qu'il recèle. désagréables, des moyens si offensants, que tout m'en choque » (III, 8).
Voir au-delà des apparences
Très tôt, Colette manifeste le désir de voir au-delà des apparences. L'anecdote de la chrysalide de paon-de-nuit dans Sido peut être perçue comme représentative de ce désir. Colette avait promis à sa mère qu'elle ne déterrerait pas ce qui avait été enfoui puis oublié dans un pot, bulbes de crocus ou chrysalide de paon-de-nuit car cela serait fatal à la seconde. Mais ni l'une ni l'autre ne s'illusionnent : « Elle savait que j'étais sa fille, moi qui ne pensais pas à notre ressemblance, et que déjà je cherchais, enfant, ce choc, ce battement accéléré du cœur, cet arrêt du souffle : la solitaire ivresse du chercheur de trésor. […] La chimère de l'or et de la gemme n'est qu'un informe mirage : il importe seulement que je dénude et hisse au jour ce que l'œil humain n'a pas, avant le mien, touché… »
Il s'agit bien de « toucher » du regard ce qui n'a pas encore été découvert. De (sa)voir ce qu'il y a au tréfonds des choses, des êtres. Colette ne dissimule pas l'origine maternelle de ce legs, elle qui avait auparavant qualifié sa mère de « pythonisse » « ayant plongé au fond d'autrui » après la visite des Vivenet.
III. Un hymne à la liberté
L'affirmation d'une « sauvagerie »
Dès l'enfance, dans Sido, Colette se présente, comme elle le fait de ses frères et de sa sœur également, comme une enfant sauvage, se levant et se promenant seule à l'aube, suivant dans les bois « un grand circuit de chien qui chasse seul », se régalant de l'eau de « deux sources perdues ».
Cette sauvagerie naturelle, Colette la revendique dans Les Vrilles de la vigne, refusant de se conformer aux usages, aux bienséances mortifères comme elle le clame dans « Toby-Chien parle » : « Je veux faire ce que je veux. Je veux danser nue, si le maillot me gêne et humilie ma plastique. […] je veux faire ce que je veux. Je ne porterai pas des manches courtes en hiver, ni de cols hauts en été. Je ne mettrai pas mes chapeaux sens devant derrière et je n'irai plus prendre le thé chez Rimmel's, non… Redelsperger, non… Chose, enfin. Et je n'irai plus aux vernissages. » « Toby-Chien parle » raconte avec humour, à travers le dialogue de son chien et de sa chatte, le tournant pris par Colette.
Humour, ironie, provocation : le plaisir du jeu
De la même façon, c'est à la chatte Nonoche que Colette confie le soin de faire sa déclaration d'indépendance : Nonoche qui sèvre brutalement son fils trop grand, Nonoche prête à d'autres noces. Difficile de ne pas prêter à ce texte une teinte ironique, voire provocatrice lorsque l'on considère la dédicace à Willy, le premier époux de Colette, usurpateur, trompeur, et qu'elle finira par haïr.
Dans Les Vrilles de la vigne, Colette rompt avec une certaine image d'elle-même (incarnée par son double « Claudine » dans « Le Miroir » par exemple) et se fait ostentatoire avec exultation : l'enjouement, le jeu et le « je » de la femme de scène l'emportent, contre les conventions qui voulaient la museler ; la femme de lettres y gagne aussi en liberté, s'aventurant sur de nouveaux terrains.
IV. Corpus : La contemplation du monde
Ode
Du grec « odè » signifiant « chant », l'ode est un poème ancien, hérité de l'Antiquité, accompagné de musique et remis au goût du jour en France à la Renaissance. L'ode se compose généralement de strophes identiques par le nombre et la mesure des vers : elle peut par exemple être construite de strophes de dix vers appelées dizains (formées de vers de dix syllabes) appelés décasyllabes. L'ode sert à célébrer, dans une tonalité lyrique (« ode anacréontique ») ou héroïque (« ode pindarique »), une personne, un sentiment, une chose. Le poète français Ronsard se fait connaître grâce à ses Odes (1550).
Hymne
Du grec « humnos » signifiant « chant », l'hymne, plus libre dans sa forme que l'ode, est un poème lyrique à la gloire d'une déesse ou d'un dieu, d'une personne, de la nature, d'un sentiment, d'un événement, d'une idée. Ce genre est surtout employé à la Renaissance ; Ronsard écrit également un recueil d'Hymnes (1555-1556) célébrant aussi bien des personnes que les saisons ou les éléments du monde comme le ciel et les astres.