L'argumentation indirecte : le conte philosophique et la fable
Fiche
La fable et le conte philosophique sont deux types de textes qui, tout en racontant une histoire plaisante, ont pour fonction de délivrer un message ou une leçon, ou plus largement de susciter la réflexion du lecteur. Leur visée est donc à la fois didactique et argumentative, mais ils empruntent, pour convaincre, les ressorts de la fiction. On peut les trouver groupés sous le terme générique plus large d'apologue (court récit qui vise à démontrer ou à illustrer une leçon de morale) et ils relèvent de ce que l'on appelle l'argumentation indirecte. Quelles sont les caractéristiques de ces formes ?
1. Comment l'argumentation indirecte procède-t-elle ?
Comme un essai ou un texte purement argumentatif, le conte philosophique et la fable cherchent à convaincre, à délivrer un enseignement ou à faire réfléchir, mais de manière détournée : c'est le récit qui est chargé de mettre en scène des idées et des valeurs.
L'argumentation s'exprime à travers une fiction allégorique, ce qui permet d'incarner des principes abstraits dans des personnages qui en retirent une valeur symbolique : dans la fable de La Fontaine « Le Loup et l'agneau », les deux personnages incarnent de façon immédiatement perceptible le principe du mal et celui de l'innocence ; au-delà de cette dichotomie, le lecteur doit s'efforcer de décrypter la scène afin d'en comprendre les enjeux plus vastes.
En principe, la visée pédagogique du conte ou de la fable impose que les situations narratives illustrent sans ambiguïté les valeurs morales défendues par l'auteur. Toutefois, un texte véritablement littéraire ne saurait se satisfaire de cette simplicité. Bon nombre de ces textes ne se réduisent pas à une interprétation univoque, ou en tout cas sèment le doute dans l'esprit du lecteur. Cette tendance est d'autant plus marquée lorsque la morale n'est pas explicite, mais reste implicite, ou lorsque l'auteur recourt à l'ironie, comme par exemple Voltaire dans Candide (1759). Le lecteur averti doit donc se tenir sur ses gardes et prêter attention aux symboles un peu trop évidents. Telle est en effet la différence principale entre une argumentation directe et une argumentation rendue indirecte par la fiction : il ne peut y avoir de stricte équivalence entre les deux, car toute situation fictive, toute symbolisation, rend l'interprétation à la fois plus difficile et plus stimulante. Ainsi, la célèbre fable de La Fontaine « La Cigale et la Fourmi », qui ne comporte pas de morale, peut apparaître comme une critique de l'insouciance (incarnée par la cigale) ou au contraire de la mesquinerie (incarnée par la fourmi).
Exercice n°1
Exercice n°1
2. Quelles sont les fonctions des fictions argumentatives ?
Selon l'auteur latin Horace, le conte et la fable remplissent les deux fonctions classiques de la littérature : instruire et plaire.
Les écrivains des Lumières ont fréquemment eu recours à l'apologue dans un but de critique du pouvoir et des institutions. La fiction permet en effet de contourner plus facilement la censure en offrant un premier niveau de lecture tout à fait inoffensif, qui peut s'avérer très subversif lorsqu'il est interprété. L'apologue prend alors une nouvelle dimension : son objectif n'est pas de délivrer un message unique, mais d'inciter le lecteur à la réflexion.
Le conte comme la fable peuvent aborder tous les sujets et livrer des enseignements dans toute sorte de domaines. La leçon peut aussi bien être morale que sociale, politique ou philosophique.
La fonction ludique ne doit pas être oubliée pour autant. Si la fiction est préférée à l'essai austère, c'est parce qu'étant plaisante, elle retient davantage l'attention et permet de s'adresser au plus grand nombre. En tant qu'œuvres littéraires, le conte et la fable sont aussi conçus pour procurer un plaisir esthétique. Les Fables de La Fontaine sont d'ailleurs moins lues aujourd'hui pour la morale que l'on peut en tirer que pour leur inventivité littéraire unique.
3. Quelles sont les caractéristiques de la fable ?
La fable est un genre littéraire très ancien. Ses origines remontent à l'Antiquité, avec l'auteur grec Ésope du vie siècle avant J.-C. et avec Phèdre, fabuliste latin du ier siècle après J.-C. En France, le genre est développé magistralement au xviie siècle par La Fontaine, qui en publie deux recueils. Ses fables ont, dès leur publication, connu un très grand succès qui ne s'est jamais démenti depuis. D'autres auteurs, comme Florian, Queneau ou Anouilh ont également pratiqué ce genre.
La fable est un récit bref, en vers ou en prose, qui repose sur une structure narrative rythmée et qui peut jouer sur des effets de coup de théâtre. Ses personnages sont souvent des animaux, mais peuvent également être des êtres humains, voire des éléments naturels ou des objets. Le cadre de la fable est en général indéterminé et s'inscrit bien souvent dans un univers merveilleux.
La morale, si elle est présente, peut se trouver aussi bien au début qu'à la fin du récit. Parfois, elle reste implicite et le sens de la fable peut alors se révéler ambigu. En tout cas, la fable reste un récit plaisant, présentant une dimension ludique mais aussi esthétique, d'autant plus soulignée lorsqu'il s'agit de fables versifiées.
4. Qu'est-ce que le conte philosophique ?
L'alliance de ces deux mots est en elle-même un défi : le conte, genre léger, associé à la tradition populaire et aux récits pour enfants, est caractérisé par l'adjectif philosophique qui évoque une méditation des plus sérieuses. Or, tel est justement l'enjeu de ce genre d'apologue : produire une fiction vive et plaisante, de facture traditionnelle, qui permette la réflexion philosophique profonde.
En France, l'âge d'or du conte philosophique se situe au xviiier siècle. Les philosophes des Lumières l'ont pratiqué avec bonheur pour diffuser leurs idées, s'inspirant entre autres de la tradition du conte oriental, relayée par la traduction en français du recueil des Mille et Une Nuit, au tout début du siècle. Voltaire est résolument le maître du genre, avec des œuvres comme Zadig (1747), Micromégas (1752), Candide (1759), qui se caractérisent toutes par leur humour, leur vivacité et bien sûr leur ironie.
Le conte philosophique est un récit en prose, relativement bref – mais plus long que la fable. Même si le récit entretient toujours des liens avec l'actualité, il tient du conte par certains traits merveilleux, par certaines péripéties ou épisodes peu vraisemblables. Là encore, il s'agit d'un texte plaisant et ludique, comportant souvent des aspects comiques. Les personnages en général peu nombreux ont une psychologie assez sommaire et sont caractérisés par quelques traits essentiels. Ainsi, Candide est un personnage fondamentalement naïf, qui découvre le monde avec une grande candeur, comme l'indique son prénom.
Exercice n°2
Exercice n°2
5. Quelles sont les autres formes d'apologues ?
Outre le conte philosophique et la fable, il existe d'autres formes d'apologues que nous pouvons signaler à titre indicatif :
- la parabole : il s'agit des premiers apologues de l'ère chrétienne. Ils sont présents dans les Évangiles et permettent au lecteur de mieux comprendre, de façon imagée, certains enseignements chrétiens (exemple : la parabole de l'enfant prodigue) ;
- l'utopie : le mot « utopie » vient du grec u topos qui signifie « lieu qui n'existe pas » et désigne en littérature l'évocation d'un lieu imaginaire, d'une société idéale qui, par contraste avec la société réelle, doit faire réfléchir le lecteur sur le monde qui l'entoure. L'Utopie de Thomas More (1516) est l'ouvrage fondateur du genre. L'utopie peut également être incluse dans un récit. Ainsi, Candide découvre le monde utopique de l'Eldorado.
On peut qualifier de contre-utopies les représentations littéraires d'une société sombre et noire, telle que celle dépeinte par George Orwell, dans son roman 1984 ;
- la nouvelle ou le roman à thèse : certains récits défendent une idée ou offrent une critique évidente, véhiculées par la fiction elle-même. On peut alors les lire comme des apologues. (exemple : La Peste de Camus) ;
- le théâtre : certaines pièces peuvent également être lues comme des apologues. Beaumarchais lui-même remarque dans sa préface au Mariage de Figaro : « La fable est une comédie légère, et toute comédie n'est qu'un long apologue ».
La citation
Fables
« Une morale nue apporte de l'ennui.
Le conte fait passer le précepte avec lui. »
Le conte fait passer le précepte avec lui. »
La Fontaine
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